« Une pépite » selon Delphine Freyssinet

Une fresque familiale touchante, pleine de souffle et de caractère.

Et les biscuits du titre ? Que représentent-ils? 
De l’espoir, de la bienveillance, deux mots régulièrement galvaudés ou moqués, mais qui reprennent tout leur sens noble grâce à l’écriture fluide, romanesque, sensible et pudique d’Isabelle Steenbruggen.

Ma pépite littéraire d’aujourd’hui est cracottante comme un pain d’amandes, tendre et moëlleuse comme un financier et sucrée sans être pour autant écoeurante, exactement comme un speculoos. Oui, une série de métaphores gourmandes pour vous parler de La maison des biscuits, ma pépite doublement belge par son auteure, Isabelle Steenebruggen, et sa maison d’éditions 180°.

Isabelle Steenebruggen est bruxelloise, uccloise précisément, et elle a un parcours assez atypique. Traductrice, elle a vécu en Espagne avant de revenir dans la capitale belge pour travailler à la Commission européenne pendant dix ans. Elle fonde ensuite une coopérative de commerce équitable, La Pachamama, à laquelle elle se consacre depuis dix ans tout en s’adonnant à la traduction et l’écriture.

Avec La maison des biscuits, elle nous plonge dans une saga familiale, celle de la famille Sapin-de Limagne, qui traverse quasiment tout le XXe siècle, de 1912 à 1987, et qui a pour décor principal la maison de la rue Jules Lejeune à Ixelles. Une maison d’architecte inspirée par Victor Horta et dans laquelle Lucie, surnommée Malu, le personnage central de ce roman, est la première de la famille à y naître.

Et c’est la vie de cette petite gauchère, pianiste virtuose, que nous allons suivre. Malu qui grandit, tombe amoureuse malgré des critères personnels très catégoriques (pas blond, pas avocat, pas flamand), critères dont elle ne tiendra heureusement pas compte pour le plus grand bonheur de Charles; une Malu donc, qui devient mère puis grand-mère.

L’autre personnage important du roman c’est Ovide, le père. Un homme droit, patriote, courageux, mais qui, engoncé dans son costume ajusté d’avocat, n’a pas tellement l’occasion d’avoir des aventures, lui qui a le goût du risque, lui dont les seules aventures se limitent aux dîners et aux réceptions liés à son statut social. Il choisit donc de s’engager, au grand dam de sa femme Clarisse, pour défendre son pays, malgré ses 36 ans et ses 4 enfants. Il part, alors que Malu a seulement un petit peu plus d’un an. Et cela permet à Isabelle Steenebruggen de développer un roman épistolaire et de donner un exotisme, une évasion sur fond de première guerre mondiale dès les premières pages.

Lecture d’un extrait

Et c’est avec ces récits de guerre qu’Ovide va créer un lien avec sa plus jeune fille, l’enfant préférée selon Denise, l’aînée, ou plutôt l’enfant sacrifiée, comme l’analyse finement Clarisse, consciente qu’Ovide souhaite rattraper les 5 premières années de la vie de sa fille, qu’il a manquées. Et c’est une guêpe qui vient de piquer Malu au doigt, alors qu’elle voulait attraper une grappe de groseilles, qui va les réunir. Ovide se tient devant elle, il examine la piqûre, il porte la main de Malu à sa bouche, il aspire le dard et le recrache.

Lecture d’un extrait

Je vous ai présenté Malu et Ovide, reste à découvrir Denise, Titou et les autres frères et soeurs de la famille Sapin-de Limagne, sans oublier la famille de Charles Noseuil. Et on s’y sent tellement bien, dans cette maison des biscuits, qu’on n’a pas du tout envie de lâcher ce livre de 390 pages, tout de même. C’est une fresque familiale touchante, pleine de souffle et de caractère, qui embrasse les deux guerres mondiales, l’antisémitisme ordinaire, les classes sociales, Chopin, Hergé, l’Expo 58, le collège Saint-Pierre, les vacances à Herbeumont, les mariages selon les rangs à tenir, les moeurs et les mentalités qui s’ouvrent ou non.

Et les biscuits qui donnent son titre au livre, que représentent-ils? De l’espoir, de la bienveillance, deux mots régulièrement galvaudés ou moqués, mais qui reprennent tout leur sens noble grâce à l’écriture fluide, romanesque, sensible et pudique d’Isabelle Steenbruggen. La vie, le quotidien, le bonheur simple, les deuils, un livre qui ferait une bonne saga populaire télévisée et ce n’est pas du tout péjoratif de ma part, bien au contraire. On s’attache tellement aux personnages qu’on aurait aimé que certains, comme Titou, un portrait de femme libre, non-conventionnelle, soit plus développé. La soeur aînée, elle, disparaît carrément une fois casée, ce qui souligne bien combien, à une certaine époque, une femme mariée est effacée. Mais cette époque est-elle si lointaine?

Alors oui, Malu est parfois, surtout adulte, agaçante avec sa conviction de tout savoir mieux que tout le monde, de vouloir régenter la vie des autres selon ses opinions et ses désirs, mais elle a les défauts de ses qualités, c’est-à-dire la passion et la spontanéité, et l’amour des siens. Mais je le répète, si La maison des biscuits est pleine de bons sentiments, elle n’est absolument pas dégoulinante de mièvrerie. Et puis, surtout, au-delà du destin de Malu, la véritable héroïne de La maison des biscuits, c’est la Belgique, et plus particulièrement Bruxelles, avec ses soubresauts historiques.

https://www.rcf.fr/culture/pepites

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