Six petites vieilles dans un bassin d’hydrokiné. C’est comme ça qu’elles se surnomment elles-mêmes, mais la vieillesse va de 53 à 89 ans. Rhumatismes, arthroses, hernies, soignées dans l’eau.
Et on pédale en levant bien les genoux.
- Bonjour Clémence, ah quel temps aujourd’hui ! Encore de la pluie !
- Bonjour Magdaléna, ah, comme vous dites, bientôt juillet mais c’est pas en Belgique qu’on va trouver du soleil ! Vous avez de la chance, bientôt chez vous au Portugal ?
- Oh oui, mais on a trop chaud là-bas ! 37 degrés hier !
- Moi aussi je pars au Portugal, à Faro, on a un appartement en time-sharing. Et on fait des ciseaux avec les jambes.
- Ah, Clémence, quelle chance, vous allez passer entre les gouttes ! Et vous Agnieszka, vous partez en Pologne ? Il fait beau là-bas ?
- Très soleil. Bien mieux que Bruxelles.Des mouvements de brasse. Contractez les abdos.
- Ah, ça fait mal ça ! S’exclame Doriane. Et comme personne ne lui pose la question : moi je ne pars qu’une semaine, en août. Je ne veux pas laisser mes chats seuls trop longtemps. Mais mon filleul doit changer d’air, alors chaque année il a une semaine avec Marraine, en Bretagne.
- Ouh, Doriane, vous allez vous faire rincer autant qu’ici !
- Avec un peu de chance…Les jambes c’est bon. Prenez la frite, poussez l’eau devant et derrière. Et ça continue à piailler. La pluie et le beau temps, c’est aussi intarissable qu’assommant. Doriane vit seule, pas d’enfants, pas d’amis. C’est son heure sociale de la semaine. Elle en profite.Muriel et Habiba sont concentrées sur les exercices, silencieuses.
- Et pour la semaine prochaine, on attend grand beau jeudi, mais d’ici-là, ce qui va nous tomber dessus !
- Ah, moi je serai chez moi à Aveiro ! On rame avec la frite.
- Aïe, les épaules ! Moi aussi partie. Mon mari conduit toute la nuit. Jusqu’à Plock, chez beaux-parents. Maison là-bas.
Muriel réprime ses soupirs. Elle a un mari, des enfants, un petit-fils, des amis, bref des personnes avec qui avoir de vraies conversations. Mais elle essaye de ne pas se la péter et elle répond gentiment, brièvement, aux rares questions qui lui sont posées.
Et Habiba, elle, à 68 ans, elle sourit. Petite, elle dansait sous la pluie. Avide d’elle comme ces Belges de lumière. Elle, elle a grandi dans une tente berbère, entre Hassilabied et les contreforts de l’Atlas, dans la steppe caillouteuse avant la grande mer de sable. Du soleil, chez elle, il en avait beaucoup trop. Le soleil était l’assassin. Quand il pleuvait, on prenait des demi- chèvres desséchées comme récipient. Évidées, cou et pattes coupées, suture en laissant deux centimètres d’ouverture. Et au frais, l’eau récoltée, à l’ombre dans la tente. Le frigo berbère. Elle, le soleil impitoyable, c’était tous les jours, tout le temps. On attendait la nuit, l’ombre, les nuages. On priait pour la pluie.
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