Ce matin aux nouvelles de La Première, sans aucune transition :
Les demandeurs d’asile ont été emmenés par la police dans un bâtiment proche du Petit château. Il leur est interdit d’en sortir et plus personne ne peut y entrer. Il n’y a donc aucun ravitaillement possible pour ces 150 personnes encerclées par la police.
Sans transition donc, je vous assure, pas le moindre petit mot-lien :
Il manque en Belgique 1.500 chauffeurs de bus et de cars. Les transports des élèves vers les piscines sont menacés. On demande au fédéral une solution rapide, y compris en flexi-job.
Bon. Je ne suis pas blonde, mais allô ?
Je suis sans doute naïve, mais cette contradiction inhumaine m’a retourné l’estomac.
Premier détail, cette automatisme de la journaliste : on en est, aujourd’hui, à une telle banalisation du problème qu’on peut faire passer ça dans les rédactions sans transition, dire ça aux nouvelles sur un ton morne, dépourvu d’émotion, d’une voix automatique de tram.
Mais prenons une petite seconde pour nous attarder sur cette annonce et y réfléchir :
D’un côté on a des gens qui sont principalement des jeunes, pleins de vitalité, de bonne volonté, qui ne demandent qu’une chose : pouvoir se poser, après le voyage traumatique au cours duquel ils ont risqué leur vie et, peut-être souvent, vu des compagnons d’espoir mourir dans la Méditerranée. Pouvoir rester en Belgique. Eux, ceux qui sont arrivés jusqu’ici, qui sont là, hagards, grelottant, assoiffés, en mauvaise santé. Et comment leur vient-on en aide ? Eh bien, pardi, il y a des conventions internationales qui se sont occupées de tout ça ! On les chasse de leur seul abri, leur tente (alors que l’État a l’obligation de leur fournir la protection internationale nécessaire à toute dignité humaine) et on les enferme, sans crime ni délit, dans un bâtiment encerclé par la police.
Vous voyez, même les plus grands criminels, on ne les traite pas comme ça. Rappelons, même si c’est triste de devoir le rappeler, que ces personnes sont innocentes alors que l’État est déjà plusieurs fois condamné. On essaie de nous faire croire que ces jeunes sont mauvais, dangereux, non-désirés, trop sombres de peau, pourquoi pas carrément diaboliques, qu’ils n’ont pas le droit d’être là, parce que la Belgique, d’abord, c’est chez nous, et c’est pas chez eux.
Voilà, ça c’était d’un côté.
De l’autre, on a des transports scolaires et des transports en commun plus ou moins fonctionnels, et le devoir d’en améliorer la qualité et la quantité pour assurer une survie à notre planète tellement fragilisée, entre autres par une mobilité asphyxiante.
Nous devons le faire pour nos enfants et nos petits-enfants, pour pouvoir être sûrs qu’ils aient la possibilité d’y vivre, et vous je ne sais pas, mais moi j’ai quand même envie de léguer à mes enfants et à leur descendance une planète habitable. J’ai aussi envie qu’ils sachent nager, et qu’ils aient l’occasion de l’apprendre à l’école grâce au transport vers la piscine, même si statistiquement, avec le passeport qu’ils ont, ils ont moins de chances de se noyer dans la Méditerranée.
Bon. Un cerveau normalement constitué, ni trop bête ni surdoué, s’est demandé s’il ne s’agissait pas là de l’énoncé d’un exercice de deuxième primaire : on pose une question, et on y répond. On n’a pas de chauffeur de bus. On a des jeunes qui viennent d’arriver en Belgique et qui veulent y travailler.
Que fait-on ?
Eh bien… on les forme à conduire des bus.
Eh bien non. Parce que vous comprenez, il y a le droit international, il y a Dublin, il y a l’article 26, le 18, le 33, et que sais-je encore, il y a les conventions bilatérales, il y a Fedasil qui ne peut pas suivre, et, tiens, pourquoi pas des marchés publics d’achat de bus qui interdisent qu’un ressortissant étranger les conduise sous peine d’invalidité, et de devoir recommencer la procédure dès le début, et pourquoi pas au Qatar, tiens, c’est un chouette endroit pour une réunion, il y a, il y a,…
Il y a tant de raisons absurdes, écrites quelque part par des gens qui jamais n’auront à effleurer ces situations dramatiques. Des papiers nobles longuement débattus par les plus haut-placés et ensuite mis par écrit, signés, ratifiés, pour rendre impossible ce genre de transaction pourtant très, très simple.
En résumé, nous vivons dans un pays à la population vieillissante, obsédée par ses retraites et inquiète parce qu’il n’y a plus assez de jeunes qui travaillent et qui cotisent pour nous alors que, eux, ils ne seront pas sûrs d’en avoir une tellement il y aura de vieux. Ce pays, donc, reçoit gratuitement la meilleure des solutions, la main d’œuvre disponible et motivée, et se réjouit donc de les former au permis de… ah non, pardon, s’empresse de leur offrir les conditions de vie les plus dures possible pour qu’ils n’aient pas envie de rester ici, les enferme comme des bandits, leur refuse le pain et l’eau, les remet dans des avions de retour parce que, vous savez, l’Érythrée, c’est un pays sûr, un pays tout gentil, avec du soleil et des cocotiers, et d’ailleurs l’Afghanistan aussi, même si la mode y est un peu différente, et l’Iran aussi, non mais ils vont tous inventer des persécutions pour rester ici, c’est n’importe quoi.
Quand ma fille avait 7 ans, nous accueillions parfois pour une ou deux nuits de jeunes Éthiopiens ou Érythréens pour leur éviter de dormir au parc Maximilien. Par ailleurs, mon compagnon (noir, Grand Dieu !!) vivait en Grande-Bretagne et prenait régulièrement l’Eurostar. Ma fille m’a demandé un jour, de ses grands yeux d’enfant : Pourquoi ils ne prennent pas l’Eurostar comme lui ?
Je leur demanderais bien, à Alexander De Croo, à Rishi Sunak, à Nicole de Moor, de répondre à ma fille et à ses grands yeux débordant de gentillesse et d’amour.
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