Depuis quinze ans, il y a un figuier dans le jardin. Et depuis trois ans, le figuier nous donne des figues. Pendant l’été, on se régale de l’ombre de cet arbre qui chaque année devient de plus en plus majestueux, étend ses feuilles, étire ses branches, offre ses fruits au soleil pour les faire mûrir.
Tous les Espagnols le savent : les figuiers perdent leurs feuilles presque en un coup. Entre le jour où la première feuille tombe et le jour où il se retrouve dans sa nudité d’hiver, il se déroule une semaine, tout au plus dix jours. Et pendant ces dix jours, on se met à les apercevoir, et puis à les distinguer clairement, ces figues dodues qui s’étaient cachées de nous pour mûrir. Elles sont là, elles sont prêtes. On secoue un peu l’arbre bien-aimé et il nous envoie une salve malicieuse de fruits. On marche sur un épais tapis de feuilles en prenant garde de ne pas écraser les figues tombées au sol pendant la nuit, dissimulées sous les feuilles mortes.
Le matin, dans le froid et la lumière blanche et oblique, on cueille à mains nues des figues glacées que le gel a fissurées. Elles laissent entrevoir leur chair rouge, comme une promesse. Et alors, comment résister à l’invitation ? On en prend une entre les doigts, encore couverte de petits cristaux de glace. On pousse légèrement sur elle, à deux doigts, et elle se déchire en deux. Et les petites pépites glacées éclatent sur la langue. Elles sont pleines de mille saveurs. Ça non plus, l’épidémie ne nous l’a pas enlevé.
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